Retrouver le cycle "Commune de Paris 1871"
Regarder la première séance : "La Commune de Paris entre Histoire et Mémoires" avec Laure Godineau
Regarder la deuxième séance : "La Commune de Paris, entre fédéralisme et jacobinisme" avec Jean-Louis Robert
Regarder la troisième séance : "La Commune de Paris et la démocratie" avec Pierre-Henri Zaidman
Regarder la quatrième séance : "La Commune de Paris et les services publics" avec Jean-Louis Robert
Les textes lus lors des séances
Paris, le 19 avril 1871. DÉCLARATION AU PEUPLE FRANÇAIS
"(…) Il faut que Paris et le Pays tout entier sachent quelle est la nature, la raison, le but de la Révolution qui s’accomplit. (…) Que demande-t-il ?
La reconnaissance et la consolidation de la République, seule forme de gouvernement compatible avec les droits du peuple et le développement régulier et libre de la société.
L’autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France, et assurant à chacune l’intégralité de ses droits, et à tout Français le plein exercice de ses facultés et de ses aptitudes, comme homme, citoyen et travailleur.
L’autonomie de la Commune n’aura pour limites que le droit d’autonomie égal pour toutes les autres communes adhérentes au contrat, dont l’association doit assurer l’unité française.
Les droits inhérents à la Commune sont :
Le vote du budget communal, recettes et dépenses ; la fixation et la répartition de l’impôt ; la direction des services locaux ; l’organisation de sa magistrature, de la police intérieure et de l’enseignement ; l’administration des biens appartenant à la Commune.
Le choix par l’élection ou le concours, avec la responsabilité, et le droit permanent de contrôle et de révocation des magistrats ou fonctionnaires communaux de tous ordres,
La garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté de conscience et la liberté du travail.
L’intervention permanente des citoyens dans les affaires communales par la libre manifestation de leurs idées, la libre défense de leurs intérêts : garanties données à ces manifestations par la Commune, seule chargée de surveiller et d’assurer le libre et juste exercice du droit de réunion et de publicité.
L’organisation de la défense urbaine et de la garde nationale, qui élit ses chefs et veille seule au maintien de l’ordre dans la cité.
Paris ne veut rien de plus à titre de garanties locales, à condition, bien entendu, de retrouver dans la grande administration centrale, délégation des communes fédérées, la réalisation et la pratique des mêmes principes.
Mais, à la faveur de son autonomie et profitant de sa liberté d’action, Paris se réserve d’opérer comme il l’entendra, chez lui, les réformes administratives et économique que réclame sa population, de créer des institutions propres à développer et propager l’instruction, la production, l’échange et le crédit ; à universaliser le pouvoir et la propriété, suivant les nécessités du moment, le vœu des intéressés et les données fournies par l’expérience.
(..)
L’unité, telle qu’elle nous a été imposée jusqu’à ce jour par l’empire, la monarchie et le parlementarisme, n’est que la centralisation despotique, inintelligente, arbitraire ou onéreuse.
L’unité politique, telle que la veut Paris, c’est l’association volontaire de toutes les initiatives locales, le concours spontané et libre de toutes les énergies individuelles en vue d’un but commun, le bien-être, la liberté et la sécurité de tous.
La Révolution communale, commencée par l’initiative populaire du 18 mars, inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique. C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres. (…)"
COMMUNE DE PARIS
AU TRAVAILLEUR DES CAMPAGNES, LES TRAVAILLEURS DE PARIS
"Frère, on te trompe. Nos intérêts sont les mêmes. Ce que je demande, tu le veux aussi ; l’affranchissement que je réclame, c’est le tien. Qu’importe si c’est à la ville ou à la campagne que le pain, le vêtement, l’abri, le secours, manquent à celui qui produit toute la richesse de ce monde ? Qu’importe que l’oppresseur ait nom : gros propriétaire ou industriel ? Chez toi, comme chez nous, la journée est longue et rude, et ne rapporte pas même ce qu’il faut aux besoins du corps. A toi comme à moi, la liberté, le loisir, la vie de l’esprit et du cœur manquent. Nous sommes encore et toujours, toi et moi, les vassaux de la misère.
Voilà près d’un siècle, paysan, pauvre journalier, qu’on te répète que la propriété est le fruit sacré du travail, et que tu le crois. Mais ouvre donc les yeux et regarde autour de toi ; regarde toi-même, et tu verras que c’est un mensonge. Te voilà vieux ; tu as toujours travaillé ; tous tes jours se sont passés, la bêche ou la faucille à la main, de l’aube à la nuit, et tu n’es pas riche cependant, et tu n’as même pas un morceau de pain pour ta vieillesse. Tous tes gains ont passé à élever des enfants, que la conscription va te prendre, ou qui, se mariant à leur tour, mèneront la vie de bête de somme que tu as menée, et finiront comme tu vas finir, misérablement, car la vigueur de tes membres s’étant épuisée, tu ne trouveras guère plus de travail; tu chagrineras tes enfants du poids de ta vieillesse et te verras bientôt obligé, le bissac sur le dos, et courbant ta tête, d’aller mendier, de porte en porte, l’aumône méprisante et sèche.
Cela n’est pas juste, frère paysan, ne le sens-tu pas ? Tu vois donc bien que l’on te trompe ; car s’il était vrai que la propriété était le fruit du travail, tu serais propriétaire, toi qui as tant travaillé. Tu posséderais cette petite maison, avec un jardin et un enclos, qui a été le rêve, le but, la passion de toute ta vie, mais qu’il t’a été impossible d’acquérir — ou que tu n’as acquise peut-être, malheureux, qu’en contractant une dette qui t’épuise, te ronge et va forcer tes enfants à vendre, aussitôt que tu seras mort, peut-être avant, ce toit qui t’a déjà tant coûté. Non, frère, le travail ne donne pas la propriété. Elle se transmet par hasard ou se gagne par ruse. Les riches sont des oisifs ; les travailleurs sont des pauvres, — et restent pauvres. C’est la règle, le reste n’est que l’exception.
Cela n’est pas juste. Et voilà pourquoi Paris, — que tu accuses sur la foi de gens intéressés à te tromper, — voilà pourquoi Paris s’agite, réclame, se soulève, et veut changer les lois qui donnent tout pouvoir aux riches sur les travailleurs. Paris veut que le fils du paysan soit aussi instruit que le fils du riche, et pour rien, attendu que la science humaine est le bien de tous les hommes, et n’est pas moins utile pour se conduire dans la vie que les yeux pour voir.
Paris veut qu’il n’y ait plus de roi qui reçoive 30 millions de l’argent du peuple et qui engraisse de plus sa famille et ses favoris ; Paris veut que cette grosse dépense n’étant plus à faire, l’impôt diminue grandement. Paris demande qu’il n’y ait plus de fonctions payées 20,000 — 30,000 — 100,000 francs — donnant à manger à un homme, en une seule année, la fortune de plusieurs familles ; et qu’avec cette économie, on établisse des asiles pour la vieillesse des travailleurs.
Paris demande que tout homme qui n’est pas propriétaire ne paie pas un sou d’impôt ; que celui qui ne possède qu’une maison et son jardin ne paie rien encore ; que les petites fortunes soient imposées légèrement, et que tout le poids de l’impôt tombe sur les richards.
Paris demande que ce soient les députés, les sénateurs et les bonapartistes, auteurs de la guerre, qui paient les cinq milliards à la Prusse, et qu’on vende pour cela leurs propriétés, avec ce qu’on appelle les biens de la couronne, dont il n’est plus besoin en France.
Paris demande que la justice ne coûte plus rien à ceux qui en ont besoin, et que ce soit le peuple lui-même qui choisisse les juges, parmi les honnêtes gens du canton.
Paris veut enfin, — écoute bien ceci, — travailleur des campagnes, pauvre journalier, petit propriétaire que ronge l’usure, bordier, métayer, fermier, vous tous qui semez, récoltez, suez, pour que le plus clair de vos produits aille à quelqu’un qui ne fait rien; ce que Paris veut, en fin de compte, c’est la terre au paysan, l’outil à l’ouvrier, le travail pour tous." (texte probablement écrit par la communarde André Léo fin avril 1871)
"Paris, le 26 mars 1871.
La Proclamation suivante a été affichée hier sur les murs de Paris :
Citoyens,
Notre mission est terminée ; nous allons céder la place dans votre Hôtel-de-Ville à vos nouveaux élus, à vos mandataires réguliers.
Aidés par votre patriotisme et votre dévouement, nous avons pu mener à bonne fin l’œuvre difficile entreprise en votre nom. Merci de votre concours persévérant ; la solidarité n’est plus un vain mot : le salut de la République est assuré.
Si nos conseils peuvent avoir quelques poids dans vos résolutions, permettez à vos plus zélés serviteurs de vous faire connaître, avant le scrutin, ce qu’ils attendent du vote aujourd’hui.
Citoyens,
Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant de votre propre vie, souffrant des mêmes maux.
Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt, et finissent toujours par se considérer comme indispensables.
Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ; ils sacrifieront tout à un discours, à un effet oratoire ou à un mot spirituel. — Evitez également ceux que la fortune a trop favorisés, car trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère.
Enfin, cherchez des hommes de convictions sincères, des hommes du peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. — Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à connaître leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter.
Nous sommes convaincus que, si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considéreront jamais comme vos maîtres.
Hôtel-de-Ville, 25 mars 1871.
Le Comité central de la garde nationale"
Victor Hugo L’année terrible, Michel Lévy 1872
JUIN - XIII A ceux qu’on foule aux pieds
Oh ! je suis avec vous ! j’ai cette sombre joie.
Ceux qu’on accable, ceux qu’on frappe et qu’on foudroie
M’attirent ; je me sens leur frère ; je défends
Terrassés ceux que j’ai combattus triomphants ;
Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m’éclaire,
Oublier leur injure, oublier leur colère,
Et de quels noms de haine ils m’appelaient entre eux.
Je n’ai plus d’ennemis quand ils sont malheureux.
Mais surtout, c’est le peuple, attendant son salaire,
Le peuple qui parfois devient impopulaire,
C’est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants,
Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ;
Je défends l’égaré, le faible, et cette foule
Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements ;
Etant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas, combien de temps faudra-t-il vous redire
A vous tous, que c’était à vous de les conduire,
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D’une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte.
C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité.
Ils errent ; l’instinct bon se nourrit de clarté ;
Ils n’ont rien dont leur âme obscure se repaisse.
Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse
Et plus morne là-haut que les branches des bois ;
Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois,
Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?
En tournant dans un cercle horrible, on devient ivre ;
La misère, âpre roue, étourdit Ixion.
Et c’est pourquoi j’ai pris la résolution
De demander pour tous le pain et la lumière.
Texte écrit à Vianden (grand-duché du Luxembourg) et daté de juin 1871
Victor Hugo L’année terrible -
Juin - XII Les fusillés (extraits)
O peuple !
On les amène au pied de l’affreux mur.
C’est bien. Ils ont été battus du vent contraire.
L’homme dit au soldat qui l’ajuste : Adieu, frère.
La femme dit : - Mon homme est tué. C’est assez.
Je ne sais s’il eut tort ou raison, mais je sais
Que nous avons traîné le malheur côte à côte ;
Il fut mon compagnon de chaîne, si l’on m’ôte
Cet homme, je n’ai plus besoin de vivre. Ainsi,
Puisqu’il est mort, il faut que je meure. Merci.
Et dans les carrefours les cadavres s’entassent.
Dans un noir peloton vingt jeunes filles passent ;
Elles chantent ; leur grâce et leur calme innocent
Inquiètent la foule effarée ; un passant
Tremble. – Où donc allez-vous ? dit-il à la plus belle.
Parlez. – Je crois qu’on va nous fusiller, dit-elle.
Un bruit lugubre emplit la caserne Lobau ;
C’est le moment ouvrant et fermant le tombeau.
Là, des tas d’hommes sont mitraillés ; nul ne pleure ;
Il semble que leur mort à peine les effleure,
Qu’ils ont hâte de fuir un monde âpre, incomplet,
Triste, et que cette mise en liberté leur plaît.
Nul ne bronche. On adosse à la même muraille
Le petit-fils avec l’aïeul, et l’aïeul raille,
Et l’enfant blond et frais s’écrie en riant : Feu !
(…)
Que fîmes-nous pour eux, avant cette heure sombre ?
Avons-nous protégé ces femmes ? Avons-nous
Pris ces enfants tremblants et nus sur nos genoux ?
L’un sait-il travailler et l’autre sait-il lire ?
L’ignorance finit par être le délire ;
Les avons-nous instruits, aimés, guidés enfin,
Et n’ont-ils pas eu froid ? et n’ont-ils pas eu faim ?
C’est pour cela qu’ils ont brûlé vos Tuileries.
Je le déclare au nom de ces âmes meurtries,
Moi, l’homme exempt des deuils de parade ou d’emprunt,
Qu’un enfant mort émeut plus qu’un palais défunt.
C’est pour cela qu’ils sont les mourants formidables,
Qu’ils ne se plaignent pas, qu’ils restent insondables,
Souriants, menaçants, indifférents, altiers,
Et qu’ils se laissent presque égorger volontiers.
Méditons. Ces damnés, qu’aujourd’hui l’on foudroie,
N’ont pas de désespoir n’ayant pas eu de joie.
Le sort de tous se lie à leur sort. Il le faut
Frères, bonheur en bas, sinon malheur en haut !
Hélas ! Faisons aimer la vie aux misérables,
Sinon, pas d’équilibre. Ordre vrai, lois durables,
Fortes mœurs, paix charmante et virile pourtant,
Tout, vous trouverez tout dans le pauvre content.
Rencontre de la société l'éducation nouvelle avec la Commune (fin mars 1871)
"Les délégués de la société l’Éducation nouvelle ont été reçus hier par les membres de la Commune, auxquels ils ont remis une requête conçue en ces termes :
Considérant la nécessité qu’il y a, sous une république, à préparer la jeunesse au gouvernement d’elle-même par une éducation qui est toute à créer ;
Considérant que la question de l’éducation, laquelle n’est exclusive d’aucune autre, est la question mère, qui embrase et domine toutes les questions politiques et sociales, et sans la solution de laquelle il ne sera jamais fait de réformes sérieuses et durables ;
Considérant que les maisons d’instruction et d’éducation entretenues par la commune, ou par le département ou par l’État, doivent être ouvertes aux enfants de tous les membres de la collectivité, quelles que soient les croyances intimes de chacun d’eux ;
Les soussignés délégués de la société l’Éducation nouvelle, demandent d’urgence, au nom de la liberté de conscience, au nom de la justice :
Que l’instruction religieuse ou dogmatique soit laissée tout entière à l’initiative et à la direction libre des familles, et qu’elle soit immédiatement et radicalement supprimée, pour les deux sexes, dans toutes les écoles, dans tous les établissements dont les frais sont payés par l’impôt ;
Que ces maisons d’instruction et d’éducation ne contiennent aux places exposées aux regards des élèves ou du public aucun objet de culte, aucune image religieuse ;
Qu’il n’y soit enseigné ou pratiqué, en commun, ni prières, ni dogmes, ni rien de ce qui est réservé à la conscience individuelle ;
Qu’on n’y emploie exclusivement que la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part toujours de l’observation des faits, quelle qu’en soit la nature, physiques, moraux, intellectuels ;
Que toutes les questions du domaine religieux soient complètement supprimées dans tous les examens publics, et principalement dans les examens pour brevets de capacité ;
Qu’enfin, les corporations enseignantes ne puissent plus exister que comme établissements privés ou libres.
La qualité de l’enseignement étant déterminée tout d’abord par l’instruction rationnelle, intégrale, qui deviendra le meilleur apprentissage possible de la vie privée, de la vie professionnelle et de la vie politique ou sociale, la société l’Éducation nouvelle émet en outre le vœu que l’instruction soit considérée comme un service public de premier ordre ; qu’en conséquence, elle soit gratuite et complète pour tous les enfants des deux sexes, à la seule condition du concours pour les spécialités professionnelles.
Enfin, elle demande que l’instruction soit obligatoire, en ce sens qu’elle devienne un droit à la portée de tout enfant, quelle que soit sa position sociale, et un devoir pour les parents ou pour les tuteurs, ou pour la société.
---- Il a été répondu aux délégués que la Commune était complètement favorable à une réforme radicale de l’éducation dans le sens qu’ils indiquaient ; qu’elle comprenait l’importance capitale de cette réforme, et qu’elle considérait la présente démarche comme un encouragement à entrer dans la voie où elle était résolue à marcher.
LES ROUGES ET LES PÂLES Jean-Baptiste Clément (extraits) (JO de la Commune)
(…)
"Les pâles
Des hommes de mœurs frivoles et tapageuses, qui intriguent, cumulent les emplois et embrouillent les affaires de ce monde. Pétris d’orgueil et d’ambition, ils se drapent dans leur infamie et font la roue sur les coussins moelleux des voitures armoriées qui les transportent de la cour d’assises au bagne du tripot. Ils ne s’habillent point parce que les mœurs et la température l’exigent, ils se costument pour vous éblouir et vous faire croire qu’ils ne sont pas de chair et d’os comme vous ; leur vie est un éternel carnaval, ils ont des culottes courtes pour aller à tel autre ; ils ont des habits vert pomme brodés sur toutes les coutures, des chapeaux à cornes ornés de plumes ; je vous demande un peu si tout cela n’est pas une vraie comédie, si ce n’est point une éternelle descente de la Courtille ?
Ils n’habitent point ceux-là, ils demeurent dans des hôtels : tout y est d’or, de marbre, de velours, tout y est doré sur tranches, depuis les meubles jusqu’aux larbins. Ils ont depuis des valets de pieds jusqu’à des donneurs de lavements.
Leurs chevaux sont mieux vêtus que nous, leurs chiens sont mieux nourris et mieux soignés que vos enfants. Il est cent mille pauvres en France qui seraient heureux de demeurer dans les écuries de leurs chevaux ou dans les niches de leurs chiens.
Les pâles ne mangent pas parce qu’il faut vivre, non ; ce sont des goinfres pour lesquels il existe des Chabot qu’on décore parce qu’ils ont trouvé l’art d’assaisonner une truffe ; des goinfres pour lesquels un Vatel se brûle la cervelle, quand sa sauce n’est pas dorée à point.
Les rouges
Ceux-là ne veulent plus que vous payiez des impôts pour entretenir les autres ; ceux-là ne veulent plus qu’il y ait des casernes et des soldats, parce que n’étant pas les ennemis du peuple, ils ne le craignent pas ; ils savent, ceux-là, que le peuple se fait armée quand ses frontières sont menacées.
Ils veulent que vous ayez votre part d’air et de soleil ; que nous ayons tous également chaud et que nous ne mourions pas d’inanition à côté de ceux qui crèvent d’indigestion.
Ils veulent qu’il n’y ait plus de terres en friche, de pieds sans sabots, de huches sans pain, de pauvres sans lit, d’enfants sans nourrices, de foyers sans feu, de vieux sans vêtements.
Ils veulent que les lois soient les mêmes pour tous ; qu’on ne dise plus aux victimes qu’il faut être riche pour poursuivre les coupables.
Ils veulent la liberté, c’est-à-dire le droit de travailler, de penser, d’écrire, d’être homme, d’élever ses enfants, de les nourrir, de les instruire, d’en faire des citoyens.
Ils veulent le droit de vivre enfin !
Ils veulent l’égalité, c’est-à-dire qu’il n’est pas d’hommes au-dessus des autres ; que nous naissons tous et mourons de même ; que les titres sont des injures faites à la dignité d’homme ; que deux enfants couchés dans el même berceau n’ont pas sur le front de marques distinctives. Ils veulent l’égalité dans l’instruction, l’égalité dont la nature a prouvé l’existence par la naissance et la mort des hommes.
Ils veulent la fraternité, les rouges ! la fraternité entre les peuples, sans esprit de nationalité, sans préjugés de religion, sans différence de ciel. Ils veulent que le fort secoure le faible ; que le vieillard conseille l’enfant, que le jeune homme protège le vieillard.
Ils ne veulent plus qu’il y ait des bureaux de bienfaisance et des huches de charité : le bureau de bienfaisance doit être l’humanité tout entière, la huche de charité doit être chez tous les citoyens.
Ils veulent la fraternité, parce que c’est le point de départ de la liberté et de l’égalité.
(…) Les pauvres, les travailleurs, les honnêtes gens sont des rouges, (..) que la nature en est, que Lamennais et Proudhon en étaient, et que Dieu, s’il existait, serait avec nous !!…"
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