Université Populaire du 14e

Université Populaire du 14e

La première Université populaire du 14e

Au début du XXe siècle : La première Université populaire du XIVe

 

 

 

 

À la fin du XIXe siècle, en novembre 1899[1], est créée L’Union populaire du XIVe arrondissement, nom donné à la toute nouvelle Université populaire de l’arrondissement. Les Universités populaires ne sont pas à situer comme une force directe du socialisme parisien, en voie alors de conquête de Plaisance. Fondées, à la suite de l’affaire Dreyfus, par des intellectuels de tendances très diverses (anarchisants, socialistes ou socialisants, radicaux…), elles visaient à donner au peuple et à l’ouvrier une éducation diversifiée où la culture savante tiendrait une place importante. Elles sont encouragées par les gouvernements de gauche de la période 1898-1906. Jaurès et les socialistes modérés les soutenaient, les guesdistes et les anarchistes-communistes les considéraient comme trop proches de la culture bourgeoise.

Dans le XIVe arrondissement, deux personnes vont jouer un rôle clé. La fondatrice de l’université fut Pauline Kergomard – habitait-elle l’arrondissement ? Où ? -, Alors âgée de 61 ans, au fait des honneurs, la grande dame qui avait transformé les tristes salles d’asile des tout petits en écoles maternelles dans les années 1870 et 1880, devenue inspectrice générale des écoles maternelles, contribua à cette création qui prit un éclat officiel avec l’inauguration à la mairie du XIVe le 2 janvier 1900[2]. Selon Lucien Mercier, les maçons du XIVe jouèrent aussi un rôle actif dans la création de l’UP du XIVe. Toutefois, très vite nous ne trouvons plus trace de Pauline Kergomard, sans doute très prise par ses activités, dans la vie de l’UP. Sinon indirectement en constatant qu’en 1903 la fête annuelle de l’Université populaire se tient à l’école communale du 132 rue d’Alésia sous la présidence de la grande personnalité de Ferdinand Buisson avec qui elle était très liée.

Le vrai animateur de l’Union Populaire du XIVe fut Maurice Bouchor. En voici un qui a été largement oublié même s’il bénéficie d’une rue dans notre arrondissement. Le poète, écrivain, essayiste, pédagogue habitait le XIVe arrondissement. On ne saurait résumer son œuvre, qui resta toutefois empreinte, toute sa vie, d’une volonté d’une écriture qui parle au peuple, qui parte du peuple[3]. Né en 1855, il se fit d’abord connaître par une poésie joyeuse, pleine de verve comme Les Poèmes de l’amour et de la mer, puis dans les années 1880 et 1890, il écrivit des textes plus idéalistes, plus mystiques aussi comme Dieu le veut. Il traduisit aussi beaucoup de grands textes, composa des chants pour de grands musiciens contemporains, construisit des marionnettes, car il était aussi sculpteur… Cet homme orchestre dirige ainsi la « Partie musicale et littéraire » de la fête de l’UP du XIVe en 1903. Mais ce qui le fit connaître du grand public furent ses recherches sur les chants populaires dont il tira notamment un livre en 1897, Les Chants populaires pour les écoles, qui connut un énorme succès et fut longtemps réédité.

Les activités militantes de Maurice Bouchor nous sont moins bien connues ; il est très probable qu’il adhéra au parti socialiste avant 1914[4], mais il était aussi très lié aux militants syndicalistes les plus révolutionnaires comme ceux du groupe de La Vie ouvrière. Il publia ainsi, avec L. Clément, Les groupes de pupilles. L’éducation de l’enfant dans les milieux ouvriers, en 1912 comme brochure de La Vie Ouvrière. Il avait des contacts avec les milieux anarchistes et écrivit un recueil de chansons et de petites comédies avec l’anarchiste bien connu Sébastien Faure et Eugène Poitevin. Maurice Bouchor participait aussi activement aux réunions de coordination du mouvement des Universités populaires.

Par Maurice Bouchor l’UP du XIVe touchait ainsi aux milieux socialistes ; et l’on ne s’étonnera pas que L’Humanité ait donné régulièrement des informations dans sa rubrique « La vie sociale » sur l’université populaire de l’arrondissement.

L’orientation plaisancienne de l’Union Populaire du XIVe est très prononcée. Dans tous les cas c’était le public populaire et ouvrier que visaient les promoteurs de l’œuvre et il se trouvait surtout à Plaisance. Nous avons retrouvé trois adresses successives pour les lieux de réunions. De 1899 à 1901, les conférences se tiennent salle Noguez, 73 rue Mouton-Duvernet (numéro actuellement dans la rue Maurice Ripoche). En 1903-1904, elles se tiennent 5 rue du Texel (non loin de l’ancienne chapelle de Plaisance..). En 1908, 13 rue de la Sablière. Toujours à Plaisance, sans que le lieu soit cependant trop excentré pour le reste de l’arrondissement.

L’activité première de l’UP était de nature pédagogique par le biais de conférences dont le nombre paraît très élevé (les conférenciers étaient tous bénévoles). En 1901, trois conférences par semaine sont proposées : le lundi sur les questions sociales et économiques, le mercredi sur l’histoire, la littérature et l’art, le vendredi sur l’éducation et la philosophie[5]. Ouf. Encore en 1908, l’UP, devenue moins ambitieuse, propose une conférence par semaine, ou presque. Le contenu de ces conférences est très divers. Si les conférenciers sont très généralement des intellectuels, pour certains sujets des syndicalistes ou des spécialistes viennent parler. Ainsi le secrétaire de la puissante Fédération du Livre vient présenter une monographie de son syndicat, le secrétaire du syndicat des typographes fait une conférence sur « comment réaliser un journal ? » et le Dr Poirrier vient présenter la télégraphie sans fil. En mars-avril 1908 nous trouvons une conférence de Maurice Vernhes sur l’abbé Loisy, une conférence de Marie Goldsmith sur les Universités populaires en Russie, une conférence de Marty sur Rousseau, une conférence de G. Coupon, ingénieur agronome, sur la fabrication du vin et les principaux vignobles - « avec projection » - et une conférence du professeur Durand, « voyage de Paris à Constantinople »[6].

Aux conférences - dont le nombre diminuait - se sont ajoutés progressivement des cours d’esperanto, de solfège et de chant choral, des « lectures et commentaires » comme une page du tome III du Capital. Mais surtout L’Union populaire du XIVe développe les revues, soirées, matinées. Ainsi pour mars-avril 1908, nous trouvons Légendes en haut, les gens d’en bas, revue inédite en deux actes (une thématique très bouchorienne…), une soirée « sauterie », on jouera « Rosalie », une matinée théâtrale, une lecture sur « la mort de Jésus de Nazareth ». Cette évolution des 12 conférences très savantes mensuelles en 1901 à quatre conférences, plus éclectiques, et quatre soirées plus distractives (avec toutefois une évidente visée de qualité) serait-elle le signe de l’échec de la première formule auprès du public populaire visé[7] ? Nous n’avons aucune trace directe, mais nous savons par ailleurs que le nombre des Universités populaires en France est tombé de 250 en 1901 (toutes créées en 1900 et 1901) à 30 vers 1910. Signe de l’échec d’une rencontre entre une démarche d’intellectuels et le public populaire visé. L’UP du XIVe fut parmi celles qui survécurent assez longuement, sans doute parce que Maurice Bouchor n’était pas un doctrinaire. Il pensait qu’il fallait savoir se contenter de réussites modestes auprès de l’élite ouvrière et s’adapter. Cependant ceci n’empêcha pas L’Union populaire du XIVe de disparaître probablement un peu avant 1912.

Nous avons aussi trouvé trace d’une autre Université populaire, L’Aurore sociale de Plaisance, créée en 1901, mais qui disparut très rapidement. Nous n’en connaissons pas les promoteurs, des révolutionnaires qui trouvaient sans doute l’Union populaire trop sage.

 

 

 

 

                                                                                  Jean-Louis Robert



[1] Sauf appel de notes, les faits cités concernant les universités populaires, en général, viennent de Lucien Mercier, Les Universités populaires : 1899-1914 – éducation populaire et mouvement ouvrier au début du siècle, Paris, 1986.

[2] Le Quatorzième, 19 et 26 décembre 1899.

[3] Comme ses deux meilleurs amis, Jean Richepin et Raoul Ponchon.

[4] C’est ce que dit Alfred Rosmer dans ses souvenirs.

[5] Revue d’un passant, mars 1901

[6] D’après L’Humanité.

[7] L’abonnement mensuel était de 50 centimes par mois par famille (soit environ 4 à 5 euros actuels).



15/09/2011
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